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Foot et musique au Brésil

(titre : Wilson Simonal - "Esta Chegando A Hora" - album : Alegria, Alegria !!! )

Ah, le football. Puisqu’on est en pleine coupe du monde – ce qui ne vous aura pas échappé - creusons un peu le vaste sujet des liens entre musique et ballon rond au Brésil.

Ce sera un article en deux partie qui prolonge en quelque sorte mon entrevue sur So Foot, évoquée ici.

Le lien le plus immédiat entre foot et musique brésilienne, souvent mentionné par de grands musiciens brésiliens, est celui entre les chœurs des foules en délire dans les stades (on a encore pu l’entendre lors du huitième de final du Brésil contre Chili, entre un hymne national où tout un stade bombe le torse et les cris de délivrance de la fin…) et les chœurs de la musique samba ! A la différence que dans ces fameux chœurs, il y a toujours eu plus de femmes que d’hommes… En général ils sont mixtes, mais on entend plus les voix des femmes, au contraire d’un stade de foot… Pour ce qui est de l’aspect musical, nous allons voir que tout élément de la liesse populaire, même le plus « non-musical » peut devenir musique dans le pays où – selon le cliché – tout le monde est un peu musicien et footballeur.

Commençons tout d’abord par ces fameux chœurs chers au samba. « Conversa de Botequim » (conversation de bistrot) est l’un des plus anciens samba sur le football qu’on puisse trouver, écrite par le très mythifié Noel Rosa. Le protagoniste est un malandro, un vagabond typique de Rio de Janeiro, qui passe la chanson a demander les résultats du match de foot en donnant des ordres au serveur comme s’il était dans son palace entouré de domestiques, tout ça pour finir par dire « mets l’addition sur mon ardoise », car il a tout joué au Jogo do Bicho, une lotterie illégale, tolérée à Rio. C’est un titre pétillant et qui associe le foot à une certaine improductivité et une « dolce vita » typique des malandros cariocas, sans juger ni véritablement glorifier le personnage. Le fait que ce vieux samba ait été repris par Elza Soares en 1967 ne manque pas de piquant : la géniale chanteuse était alors la maîtresse d’un grand footballeur : Garrincha, l’ange aux pieds tordus (Anjo de Pernas Tortas)

Lors de ma récente discussion avec Maxime Delcourt de So Foot, j’évoquai ce titre mais aussi une partie des nombreuses chansons consacrés au football de Jorge Ben, autre sambiste plus tardif (années 60 à nos jours) et plus moderne surtout, dont les textes sont a priori plus simplistes et moins recherchés que ceux de Noel Rosa, qui lui fait aujourd’hui partie du patrimoine littéraire brésilien. Certes, chez Ben il y a « Fio Maravilha », ode à la beauté d’un but marqué par le joueur du même nom du club Flamengo contre Benfica, en janvier 1972 au Maracanã… Certes, il y a un impayable « Cadé o Penalty » (où est le penalty), qui semble avoir un peu trop apprise par cœur par la Seleção, qui passe pas mal de temps à rouler ses maillots jaunes dans la verte pelouse devant les arbitres (le goût de l’harmonie chromatique, sans doute)… Certes, il y a son album le plus rock, et peut-être son meilleur, Africa Brasil, dont chaque chanson oscille entre exhortation guerrière et chant de supporter. Certes, Ben peut se permettre de chanter « Il a une belle dynamique, de la lucidité, des dribbles déconcertants » (dans « Camisa 10 da Gavea ») sans que personne ne conteste qu’il est l’un des plus grands musiciens du pays, chose peu imaginable en France…

Mais à côté de tout cela – et c’est là que ça devient intéressant - Jorge Ben écrit tout autant, voire plus, sur des sujets comme les personnages historiques de la lutte pour l’émancipation des noirs au temps de l’esclavage, sur l’histoire du Taj Mahal, ou sur l’Alchimie, à laquelle il a consacré un album entier – son deuxième meilleur, tiens.

Il y a également un autre chanteur moins connu appelé Bebeto (comme le joueur, donc), qui a écrit un samba-pop à la gloire du Flamengo, appelée « Flamengão », et là c’est carrément une chanson taillée sur mesure pour promouvoir le club, ses joueurs vedettes, son esprit, ect… ( « Não bate nessa bola com desprezo / Toca nela com razão” dit le refrain). A priori ce n’est pas une commande du club mais un vrai geste de fan…

Et puis il y a le cas de Wilson Simonal, chanteur populaire dont l’une des spécialités était de faire chanter les foules comme un seul homme. Il faut voir la vidéo de « Meu Limão Meu Limoneiro » au Maracanazinho, le grand gymnase jouxtant le stade Maracana : le public lui obéit au doigt (un seul doigt pour diriger la chorale improvisée) et à l’œil… Simonal, qui était donc un interprète cousu dans la classe, avait lui aussi repris un vieux samba en lien avec le foot, “Está chegando a hora”, de Henricão et Rubens Campos, chanté par Carmen Costa en 1941. Ce titre est pourtant devenu la chanson entonnée par les foules à la fin du carnaval et en fin de matchs de foot. A l’écoute, il est d’ailleurs amusant de voir que les différences entre musiques et entre peuples s’estompent si on prend des versions « scandées » dans des stades , que ce soit du samba ou bien I will survive ou Seven nation army…

Finalement l’aspect le moins intéressant musicalement, ce sont les “chansons de coupe du monde” elles-mêmes, officielles ou officieuses. Que de chansons mauvaises, écrites sur commande sans la moindre sincérité, commenditées par cet évènement ! Un cas intéressant est néanmoins la chanson de la coupe du monde 1970, la plus marquante pour le Brésil, celle qu’il gagneront à Mexico avec leur meilleur équipe de l’histoire, pour beaucoup de spécialistes. La chanson s’appelle « Pra Frente Brasil », de Miguel Gustavo et Raul de Souza (qui est pourtant un tromboniste de Jazz ayant fait de très bons disques), et en plus d’être assez mauvaise à une époque pourtant très riche dans la pop brésilienne, elle fut associée au mouvement « Ufanista » , c’est-à-dire « triomphaliste » du gouvernement militaire de l’époque, dont le slogan préféré était « le brésil, tu l’aimes ou tu le quittes » (toute ressemblance avec un justiciable comme les autres étant pure coincidence, tiens donc).

Un mouvement nationaliste qui triomphe hélas à la faveur de la victoire en finale de cette coupe du monde 70, considérée comme une des plus spectaculaires, avec Pelé et Jairzinho dans la seleção. Un engouement énorme dans le pays se déclenche, d’autant plus que c’était la première coupe du monde à être retransmise en direct… Malheureusement, derrière cela, il y avait une des pires périodes de la dictature brésilienne et au final un évènement, qui, déjà, était très critiqué par certains brésiliens…

Car la même année, en cherchant du côté du groupe de scène (et de studio) de Milton Nascimento, on trouve une chanson comme « Hey Man », issue du premier album de ce groupe de rock-funk donc, Som Imaginario. « Hey Man » parle de « sang bu dans une coupe d’or », ce qui est une allusion (un peu balancée l’air de rien, pour éviter la censure justement) à la coupe du monde et à cet enthousiasme un peu inconditionnel et aveugle autour, alors qu’il y avait bel et bien des morts et des disparitions à la même époque dans le pays. Ironiquement, en 1970, plusieurs musiciens brésiliens sont exilés à Mexico, d’où ils sortent des disques, dont João Gilberto lui-même. (ou encore une certaine Joyce, aux côtés de Luiz Eça et Nelson Angelo. Pas les plus mauvais, en somme.)

Ce qui est troublant, c’est que 40 ans après, pendant que la contestation monte en flèche, surtout chez les jeunes (un documentaire récent a été tourné à ce sujet, « we don’t like samba »), les musiciens qui autrefois critiquaient la dictature et cette coupe du monde 70 ont vieilli, et se retrouvent aujourd’hui à faire des chansons soutenant la coupe 2014. L’une des chansons officielles de cette coupe 2014, par exemple, est signée Tavito et Aldir Blanc ; or le premier était justement membre du groupe Som Imaginario mentionné plus haut, quant à Aldir Blanc, c’était un des paroliers les plus politisés et talentueux des années de la dictature… Bien sûr le contexte politique est radicalement différent, mais les problèmes soulevés par le mouvement actuel (pauvreté, répartition des richesses) étaient déjà en place en 1970. Les revendications n’ont pas tant changé que ça, à la différence des grèves d’aujourd’hui en France si on les compare à Mai 68, par exemple. Au Brésil, les problèmes sont au fond les mêmes, et ce même si le pays a fait un bond de développement colossal en 50 ans.

Il y aurait beaucoup à dire sur la politisation du foot et de la musique au Brésil, nottamment à travers les festivals de MPB des années 60, pour lesquels il y avait un engouement comparable à un championnat de foot, et déjà, la politique et les enjeux sociaux venaient s’en mêler plus que de raison, ce qui est entre autres raconté dans le livre… C’est aussi cet engouement déraisonnable qui a donné les plus belles pages de la MPB, et sur lequel nous reviendrons dans la partie 2 de cet article.

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