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Futebol part 2

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Je parlais, dans la partie 1 de cet article, des chansons évoquant des hymnes de supporters, parfois sur des musiques inchantables dans un stade, donc juste pour le plaisir du mot… Mais il y a des musiciens qui aiment évoquer le foot de façon iconoclaste, comme Hermeto Pascoal, qui prend un sample de la voix d’Osmar Santos, commentateur sportif enflammé (le cliché du commentateur brésilien qui crie « goooool » en perdant haleine), et qui joue des notes de son jazz lumineux par dessus, en débusquant la musicalité de la voix du journaliste ! Il faut dire que Pascoal, comme le montre l’hallucinant et passionant documentaire qui lui est consacré, « L’Allumé Tropical », est capable de transcrire n’importe quel échantillon de voix humaine en phrasé musical, comme s’il s’agissait du chant d’un oiseau ! Cela fait partie de sa théorie très personnelle du « Som Universal », qui veut que tout bruit environnant soit potentiellement musique, pour peu que l’oreille humaine veuille bien y deceler l’harmonie sous-jacente. On retrouve là à la fois l’idée de nombreux jazzmen américains ou d’un certain Captain Beefheart (mais également du « maître » Moacir Santos), qui veut que le meilleur professeur pour un musicien soit l’écoute prolongée et attentive du chant des oiseaux et des sons de la nature, dont les instruments créés par l’homme ne sauraient être qu’une imitation. Une conception également partagée par les indiens Tupi, ou encore certains indiens natifs des Philippines…

Hermeto Pascoal – Tiruliruli / Papaio Alegre (1982)

(une chronique du disque en français ici, par l’excellent progmonster : http://www.gutsofdarkness.com/god/objet.php?objet=11499 )

Mais ce n’est pas le seul exemple de sample de commentaire de match… En réalité, l’échantillonnage de commentaire sportif enflammé est un exercice étonnamment courant dans la musique brésilienne moderne. Le tout avant que les samples ne soient habituels en musique pop. On le retrouve dans des musiques aussi diverses que « Amor Blanco e Preto » de Rita Lee en 1972 (rock psychédélique de l’ex-Os Mutantes, même si cet album-là est en réalité un disque des mutantes) ou « O Futebol » d’Akira S & Garotas que Erraram, un groupe de post-punk de 86.

En fait ces liens musique/foot ne sont pas si éloignés, dans l’esprit, du destin d’une chanson comme « You’ll never walk alone » en Angleterre, qui a finie samplée par Pink Floyd !

Une autre manière plutôt étonnante d’évoquer le foot est celle de Tom Zé, avec son « Cantando Com a Platéia (A falta que o Neto fez na Copa) ». Album entier enregistré en concert au Théâtre Caetano de Campos de São Paulo en Juin 1990, et publié peu avant la coupe du monde 90 pour protester contre la non-inclusion dans la seleção de Neto, joueur du club de São Paulo, le fameux Corinthians, le même auquel était dédié le « Amor Blanco e Preto » de Rita Lee ! (au passage, était-ce une référence au « Retrato em blanco et preto » de Jobim et Chico Buarque, en plus d’évoquer les rayures du maillot de l’époque des Corinthians ?). En tout cas il est assez amusant de voir Tom Zé, chanteur volontiers vu comme un intellectuel-doux-dingue-bizarre dans son pays, faire un disque pour soutenir son jouer de foot préféré, qui plus est dans le cadre d’un « Projet Adoniram Barbosa »… Mais cela fait sens puisque l’œuvre de Barbosa est en grande partie dédiée à la vie de la classe ouvrière de São Paulo. Le 33 tours sorti sur un petit label indépendant, est bien sûr rare et cher.

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Revenons à des choses plus convenues avec le cliché du « foot samba », rabâché un peu bêtement par les journalistes – spécialistes ou non – cet été pour parler du jeu brésilien… Chico Buarque a une véritable théorie là-dessus. Il pense que le style des dribbleurs à la brésilienne est du au swing des danseurs de samba, dans la souplesse de mouvements, au côté « malandragem », aussi, expression qu’on pourrait traduire librement par « ni vu ni connu je t’embrouille » (à titre personnel, j’apprécie l’équivalent anglophone et forcément concis de « badass »), et qui à la base désigne le style de vie à la marge et bon vivant des malandros, amateurs de samba des quartiers popu de Rio…Il y a une forme de légèreté brésilienne palpable même pour celui qui n’y a jamais mis les pieds. Le carnaval , semble-t-il, entretient une pratique décomplexée de la danse pour toutes et tous, à chaque âge, quelle que soit l'apparence, la classe etc... Et ce qui est sûr, c'est que ce rythme vient du samba et que cette légèreté, dans la musique en tout cas, cache souvent une gravité, une profondeur insoupçonnée.

Il y a quelques temps un journaliste de chez So Foot me demandait s’il y avait un lien entre l’avènement du « foot samba », du beau jeu à la brésilienne, et de la Bossa Nova, tout deux apparus vers 1958. Je réfléchis un instant, et lui répondit que je ne pensais pas… Mais la bossa nova est après tout une épure du samba, une version « light » qui a l’air facile et indolente à écouter comme ça… Et qui est en réalité une musique influencée par le jazz et le classique, bourrée d’accords complexes et d’harmonies un peu étranges, et très difficile à reproduire à la guitare. La notion de virtuosité est sans doute très importante en foot comme en musique, ici. Les brésiliens sont de grands techniciens et aiment le panache par-dessus tout, du coup le résultat peut paraitre « ensoleillé » et d'une évidence toute naturelle, il y a souvent des monstres de technique derrière... c'est le cas de Baden Powell, d’Egberto Gismonti, ou aujourd’hui de Yamandu Costa, à la guitare.

Mais de la même façon que certains grands noms de la MPB critiquent aujourd’hui (plutôt sévèrement je dirai) la musique brésilienne actuelle, n’y retrouvent pas les individualités vocales marquées des années 60-70 (là-dessus je les rejoindrais déjà plus), Chico Buarque, dans la même interview où il exposait sa théorie sur le foot samba, critiquait durement l’état du foot brésilien actuel, prédisant un mauvais score pour la seleção lors de la coupe du monde 2014. Et pour cause : quand toute l’équipe joue une bonne partie de l’année disséminée dans des clubs européens, que reste-t-il du « foot samba » ?

Pour finir, faisons un petit tour d’horizon des chansons inspirées du ballon rond au Brésil. L’une des plus connues est « Aqui É O País Do Futebol » de Milton Nascimento, repris par Wilson Simonal, qui ne manquait pas une occasion de surfer sur la foot-mania. La chanson fut écrite en 1970, période d’état de grâce absolue pour Nascimento, qui s’apprête à écrire plusieurs des plus beaux chapitres de la musique brésilienne… Le même Wilson Simonal avait juste avant repris le fameux « Pais Tropical » de Jorge Ben, sans l’autorisation de l’auteur. C’est dans la version du soulman Simonal que le titre, écrit à l’origine pour Gal Costa, deviendra une sorte d’hymne officieux de la coupe du monde 1970. Une anecdote croustillante à ce sujet décrit un Simonal rigolard et sur de son coup assurant lors d’une virée en voiture à Jorge Ben qu’il allait propulser sa chanson au rang de classique, ce dernier rétorquant qu’il l’avait écrite pour Gal Costa avant tout... C’est le très bling-bling mais non moins talentueux Simonal, alors une star pesant beaucoup plus que Ben dans le showbiz, qui eu raison ce coup-là.

Il y a un autre chanteur moins connu appelé Bebeto (comme le joueur, donc), qui a écrit un samba-pop à la gloire du Flamengo, appelée « Flamengão ». Cette fois il s’agit carrément d’une chanson taillée sur mesure pour promouvoir le club, ses joueurs vedettes, son esprit, etc.… ( « Não bate nessa bola com desprezo / Toca nela com razão » dit le refrain, "ne prend pas ce ballon avec mépris / joue-le avec raison")

Elis Regina, enfin, a chanté « Meio de Campo » (milieu de terrain), à l’interprétation subtile, tout en jazz, assez loin du chant de supporter cette fois.

(vidéo extraite de l'émission Ensaio de TV Cultural, excellente source de documents vidéos inestimables de musique brésilienne)

Après l’ère des festivals, ceux qui avaient notamment révélé Nascimento et Elis, la télévision sera un média bien plus contrôlé par la dictature, et si le foot restera un exutoire autorisé pour le peuple frustré, cela sera moins le cas pour la musique, qui sera sous la coupe de la censure et de l’exil de nombreux chanteurs. D’ailleurs quand Sérgio Ricardo tenta de chanter le foot sous l’angle politique lors d’un festival de MPB en 1967, sa chanson disparut littéralement sous les huées du public, gauchiste comme souvent dans les festivals de mpb de ces années-là, qui réclamait un « vrai » contenu politique, n’acceptant pas le foot comme sujet « valable » pour exprimer une opinion sur la situation du pays ! Il faut dire que la dictature au pouvoir de 64 avait considérablement échauffé les esprits. Résultat : Ricardo s’énerve, s’écrire « vous avez gagné », casse sa guitare sèche et en jette les débris au visage des premiers rangs, avant de quitter la scène rageusement. Carton rouge pour Ricardo, et disqualification. Loin, très loin, de l’atmosphère peace et enfumée de Woodstock ou de Wight, les « festivals » des années 60 (qui sont en fait des concours de chansons) connurent un engouement comparable à des championnats de foot, et déjà, la politique et les enjeux sociaux venaient s’en mêler plus que de raison.

Marcos Valle, un des plus grands chanteurs de Bossa puis de MPB très soul voire psychédélique, a quant à lui écrit « Flamengo até Morrer » (Flamengo jusqu’à la mort) en 73, dont le texte, comme beaucoupp de ses chansons de cette époque, est ironique envers le pouvoir en place : « Mas tudo é paz nesse País, nesse Brasil,/A gente já cresceu/E é tempo de aprender /Que quem nasceu Flamengo é Flamengo até morrer. » (Mais tout est paix dans ce pays, ce Brésil, / Nous avons cultivé / Et il est temps d'apprendre / Que ceux qui sont nés Flamengo, sont Flamengo jusqu’à la mort ». Même chose pour son « Paz e Futebol » : le foot est l’opium du peuple dans un pays si inégalitaire et injuste… Et ça l’est d’autant plus à l’époque de la dictature, où il vaut mieux à l’époque se défouler dans un stade qu’en manifestant… si l’on ne veut pas tâter de la prison. Comme la censure regardait particulièrement les textes de chanteurs connus comme Marcos Valle, ce type d’allusions ne sont jamais frontales.

Mais globalement, il faut vraiment chercher pour trouver une chanson qui ne parle pas du foot comme de quelque chose de positif… « Bola com os amigos » de Anelis Assumpção (2011), par exemple, jette un peu la pierre à tous les footeux du dimanche qui délaissent leur petite amie en jouant jusqu’à la tombée de la nuit avec leurs potes, et ne rentrent que pour regarder du foot ! Ça reste bon enfant, le morceau étant un dub plutôt langoureux…

Avec la récente débâcle de la seleção, on va peut-être voir apparaître de plus en plus de chansons raillant le foot, comme « Santa Maradona » de Mano Negra. Cette coupe du monde aura été très politisée pour les brésiliens, dont beaucoup ont manifesté pour dénoncer une débauche de moyens et de lois autour de l’évènement, pour lequel on a presque pu parler non pas de villes-sièges mais de « villes assiégées »… Cela va de pair avec une certaine modernisation et « pacification » des favelas et ghettos du pays, qui est en général très mal vue des habitants, qui demandent juste la tranquillité, non qu’on vienne bouleverser leur vie de quartier et leur solidarité, qui se substitue à l’état qui les a abandonnés depuis des décennies. Il semble le foot, cet opium du peuple, ne suffise plus à apaiser toutes les tensions...

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